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vendredi 11 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 16-33

LE PURGATOIRE

CHANT XVI.

L'obscurité de l'Enfer et d'une nuit privée de toute étoile sous un ciel sombre, lorsque les nuages la couvrent de plus de ténèbres ne mit pas un voile aussi épais devant ma vue que la fumée qui nous entoura et ne fut jamais aussi âpre et aussi poignante.

Mes yeux ne pouvaient pas rester ouverts aussi mon guide sage et fidèle s'approcha-t-il de moi pour m'offrir l'appui de son épaule. Comme un aveugle marchant sur les pas de celui qui le mène pour ne pas s'égarer et pour ne pas donner du front contre des objets qui le choquent ou qui le tuent, je marchais dans cet air âcre et épais, écoutant mon guide qui disait: —Prends bien garde de ne pas te séparer de moi.

J'entendais des voix et chacune semblait demander paix et miséricorde à l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés. —  Agnus Dei était leur exorde. Elles n'avaient toutes qu'une parole et qu'une prière, si grand était l'accord qui régnait entre elles.

            — Ce sont des esprits que j'entends, Ô mon maître? demandai-je et il me répondit: — Tu as dit vrai, et ils vont expiant le péché de la colère.

            — Or qui es-tu, toi, qui fends notre fumée et qui parles de nous comme si tu partageais encore le temps par calendes ? Ainsi parla une voix et mon maître me dit: — Réponds-lui et demande si l'on monte par ce côté.

            Et moi: — Ô créature qui te purifies pour retourner belle à ton créateur, tu entendras des merveilles si tu me suis. — Je te suivrai autant qu'il m'est permis, répondit-elle et si la fumée nous empêche de nous voir, la voix nous rapprochera malgré elle.

            Alors je dis : — Sous cette enveloppe que la mort brise je m'en vais plus haut et je suis venu ici à travers les angoisses de l'Enfer. Et si Dieu m'a assez entouré de sa grâce pour permettre que je voie sa cour d'une facon toute contraire à l'usage d'aujourd'hui, ne me cache pas qui tu fus avant ta mort. Mais dis-le-moi et ajoute également si je vais droit au passage car nous nous réglerons sur tes paroles.

            — Je fus Lombard et je m'appelai Marco (l). Je connus le monde et j'aimai cette vertu à laquelle personne ne vise plus maintenant. Tu suis le droit chemin pour monter. Ainsi répondit-il et puis il ajouta: — Je te supplie de prier pour moi quand tu seras là-haut.

            Et moi à lui: — Je m'engage par serment vis-à-vis de toi à faire ce que tu demandes mais je succombe à un doute qui m'obsède si je ne m'en délivre pas. Je doutais d'abord, je doute deux fois maintenant à cause de ta réponse qui m'affirme également des choses dites ici et ailleurs auxquelles je la rapporte. Le monde est privé de toute vertu comme tu le dis, rempli et couvert de malice. Mais je te prie de m'en indiquer la cause si clairement que je la voie et que je l'explique aux hommes car les uns la mettent dans le ciel et les autres ici-bas.

            — Hélas! s'écria-t-il en poussant un soupir que lui arracha la douleur. Ô mon frère! le monde est aveugle et tu en arrives bien!

                        Vous qui vivez, vous attribuez tout au ciel comme s'il faisait tout mouvoir par une loi de nécessité. S'il en était ainsi, le libre arbitre serait détruit en vous et il ne serait pas juste d'avoir de la joie pour le bien et de la peine pour le mal.

                        Le ciel donne l'impulsion à vos mouvements, je ne dis pas à tous mais supposons que je le dise, la lumière vous est donnée pour distinguer le bien du mal. Et vous avez le libre vouloir qui, s'il endure des fatigues dans ces premières luttes avec l'influence céleste, triomphe ensuite de tout, s'il se raffermit bien.

                        Libres, vous êtes soumis à une force plus grande et à une nature meilleure. Ce sont elles qui créent en vous votre volonté-que le ciel n'enchaîne pas. Si donc le monde actuel se fourvoie, la raison en est en vous et c'est là qu'il faut la chercher et je vais t'aider à le comprendre.

                                    L'âme sort de la main de Dieu satisfait de la regarder, avant qu'elle ne soit, comme une petite fille qui pleure et qui rit en folâtrant. Naïve et ne sachant rien, si ce n'est que partie d'auprès de son créateur bienheureux, elle retourne volontiers à ce qui la charme.

                                    D'abord elle prend goût au moindre plaisir, là elle s'égare, et elle court après lui si un guide ou un frein ne détourne son ardeur.

                                    Il fallut lui donner des lois pour frein. Il fallut avoir un roi, pour distinguer au moins la tour de la cité véritable. Les lois existent bien mais où est la main qui les applique? Nulle part?

                                    Le pasteur qui mène le troupeau peut bien ruminer, mais il n'a pas le pied fourchu (2). Aussi la multitude qui voit son guide se jeter sur l'appât dont elle est avide s'en repaît sans nul souci d'autre chose.

                                    Tu peux bien voir qu'une mauvaise direction est la cause qui rend le monde coupable et ce n'est pas la nature qui est corrompue en vous. Rome qui instruisit l'univers, avait deux soleils éclairant les deux routes qui mènent au monde et à Dieu. L'un des deux a éteint l'autre, l'épée est jointe au bâton pastoral et tous deux réunis par force doivent aller mal ensemble car étant dans la même main, ils ne se craignent plus l'un l'autre.

                                    Si tu ne me crois pas, regarde à la moisson, car toute herbe se connaît à la semence. Dans ce pays que l'Adige et le Pô traversent, vous n'eussiez trouvé que valeur et courtoisie avant la querelle de Frédéric. Aujourd'hui peut y passer librement quiconque aurait honte de parler aux gens de bien ou de s'en approcher.

                                    ll y a bien encore trois vieillards par lesquels l'âge antique gourmande le nouveau mais il leur tarde que Dieu les rappelle à une vie meilleure. Ce sont Currado de Palazzo, le bon Gherardo et Guido de Castello, qui se nomme mieux en français le simple Lombard (3). Dis désormais que l'église de Rome en confondant les deux pouvoirs tombe dans la fange et se salit, elle et son fardeau.

                                    — Ô Marco, mon ami! dis-je, tu as bien raisonné et je comprends maintenant pourquoi les enfans de Lévi furent exclus de l'héritage (4). Mais quel est ce Gherardo qui est resté comme souvenir des races mortes et comme reproche vivant de ce siècle pervers?

                                    — Ou ta parole me trompe ou elle me tente, répondit-il, puisqu'en me parlant la langue toscane tu sembles ignorer ce que c'est que le bon Gherardo. Je ne lui connais pas d'autre surnom si je ne l'emprunte à sa fille Gaja. Que Dieu soit avec vous, je ne vous accompagne pas plus loin. Vois la clarté rayonner déjà à travers la fumée. L'ange est là et il faut que je parte avant qu'il paraisse. Il parla ainsi, et ne voulut plus m'écouter.

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