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lundi 14 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 31-33

LE PURGATOIRE

CHANT XXXI.

Ô toi qui es au-delà du fleuve sacré, continua-t-elle sans s'arrêter en tournant vers moi de pointe le glaive de sa parole dont la taille m'avait déjà paru si acérée, dis, dis si mes reproches sont vrais. Il faut que ta confession vienne confirmer une accusation si dure.

            Mes forces étaient si brisées, que ma voix s'émut mais elle s'éteignit avant d'être sortie de ma bouche. Elle attendit un peu, puis elle dit: — Que penses-tu ? Réponds-moi, puisque tes tristes souvenirs ne sont pas encore effacés en toi par l'eau de l'oubli.

            La confusion et la peur, mêlées ensemble, me poussèrent un oui si faible sur les lèvres que pour le comprendre il fallut le secours des yeux. Comme une arbalète que trop de tension fait partir, brise sa corde et son arc et le trait arrive au but moins rapide, ainsi j'éclatais, sous le poids de mon émotion, en larmes et en soupirs et ma voix se ralentit dans son essor.

            Et elle à moi: — Au milieu de mon amour qui te conduisait à chérir le bien au delà duquel il n'y a rien de souhaitable, quels fossés, quelles chaînes as-tu trouvés devant toi pour que tu aies ainsi perdu l'espoir d'aller plus loin ? Quelles facilités, quels avantages as-tu donc aperçus sur le front des autres pour que tu sois allé ainsi courir devant eux?

            Après avoir poussé un soupir amer, je trouvai à peine la voix pour répondre et à peine si mes lèvres purent la former. Je dis en pleurant: — Les choses présentes avec leur faux plaisir détournèrent mes pas aussitôt que votre visage eut disparu.

            Et elle: — Que tu taises ou que tu nies ce que tu confesses, ta faute n'en sera pas moins connue si clairvoyant est le juge qui la sait! Mais lorsque l'aveu du péché tombe de la bouche du coupable dans notre cour, la meule qui aiguise le glaive de la justice se tourne contre le fil. Cependant, pour que tu aies plus de honte de ton erreur et pour qu'une autre fois tu sois plus ferme contre la voix des sirènes, taris la source des pleurs et écoute: Tu apprendras comment ma chair ensevelie devait te guider dans une voie contraire.

La nature ou l'art ne t'offrirent jamais autant de plaisir que le beau corps où je fus enfermée et qui n'est plus que poussière. Et si le plus grand des plaisirs te fut ainsi enlevé à ma mort, quelle chose mortelle devait ensuite te tenter? Tu devais bien plutôt, aux premières atteintes des objets trompeurs, t'élever vers moi qui n'étais plus ainsi. Tu ne devais pas ployer tes ailes et attendre que tu fusses frappé de nouveau ni par aucune jeune fille, ni par une autre vanité aussi passagère. Le jeune oiseau se laisse tirer deux ou trois coups mais devant les yeux de celui qui a déjà l'aile forte, c'est en vain qu'on tend le filet ou qu'on veut tirer l'arc.

            Comme les petits enfants muets de honte et les yeux à terre restent debout à écouter et s'avouent coupables et repentants, ainsi me tenais-je lorsqu'elle me dit: — Puisque tu es affligé de mes paroles, lève la barbe et tu sentiras plus de douleur encore en me regardant.

            Le chêne robuste est arraché avec moins de résistance par notre vent ou par celui qui souffle de la terre d'Iarbas que je n'en mis à lever le menton à son commandement et lorsqu'elle me parla de la barbe au lieu du visage, je sentis bien le venin de l'argument.

            Et quand enfin je levai ma face, mes yeux virent que les anges avaient cessé de jeter des fleurs. Et mes regards encore peu assurés aperçurent Béatrix tournée vers la bête qui était un seul être en deux natures. Sous son voile et de l'autre côté du fleuve verdoyant, «elle me parut surpasser d'autant sa beauté d'autrefois qu'elle avait surpassé la beauté des autres sur la terre. L'ortie du repentir me fut si poignante, que plus les autres choses m'avaient entraîné à les aimer, plus elles me devinrent odieuses. Un si grand remords me perça le cœur, que je tombai évanoui et ce que je devins alors, celle-là put le savoir qui en avait été cause.

            Puis, lorsqu'une puissance extérieure eut ranimé mon cœur, la femme que j'avais d'abord trouvée seule était au-dessus de moi et me disait: —Tiens-moi, tiens-moi. Elle m'avait traîné dans la rivière, plongé jusqu'au cou et en me tirant après elle, elle courait sur l'eau, légère comme une navette. Lorsque je fus près de la rive heureuse, j'entendis chanter si doucement: — Asperges me ( 1), que je ne puis m'en souvenir loin que je puisse l'écrire. La belle femme ouvrit ses bras, me prit là tête et me plongea de telle sorte que je dus avaler de cette eau. Ensuite elle me retira et m'offrit ainsi baigné à la danse des quatre belles femmes et chacune d'elles me couvrit avec son bras.

                        — Ici nous sommes nymphes et au ciel nous sommes étoiles. Avant que Béatrix descendît dans le monde nous fûmes destinées pour être ses servantes. Nous te mènerons devant ses yeux mais les trois autres femmes placées de l'autre côté du char et dont la vue est plus profonde, aiguiseront ton regard pour qu'il pénètre l'éclat qui brille dans le sien. Ainsi dirent-elles en chantant et puis elles me menèrent avec elles au poitrail du griffon du côté où Béatrix était tournée vers nous et elles reprirent: — Rassasie bien ton regard, nous t'avons placé devant les émeraudes d'où l'amour t'a déjà lancé ses traits.

                        Mille désirs plus ardents que la flamme attachèrent mes yeux sur ces yeux resplendissants, qui restaient fixés sur le griffon. — Ainsi que le soleil dans le miroir, ainsi la double bête se réfléchissait dans ses yeux tantôt avec l'une, tantôt avec l'autre nature.

                        Pense, lecteur si je m'émerveillais lorsque je voyais la bête rester immobile en elle-même et changer dans son image, pendant que, pleine de stupeur et joyeuse, mon âme goûtait de cette nourriture qui augmente les désirs de ceux qu'elle rassasie. Se montrant de l'ordre le plus sublime, les trois autres s'avancèrent en chantant sur leur mode angélique: — Tourne, Béatrix, tourne tes yeux saints — c'était là leur chanson—vers ton fidèle qui a fait tant de pas pour te voir. Par pitié, fais-nous la grâce de lui dévoiler ton sourire afin qu'il aperçoive la seconde beauté que tu lui caches.

Ô splendeur de la lumière vive et éternelle! quel est celui qui ayant pâli à l'ombre du Parnasse ou qui ayant bu à sa fontaine, ne paraîtra pas avoir l'esprit impuissant (?) pour essayer de te rendre telle que tu m'apparus là où le ciel te voile de son harmonie, lorsque tu te manifestas au milieu de l'air!

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