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lundi 14 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 32-33

LE PURGATOIRE

CHANT XXXII.

Mes yeux étaient si appliqués et si attentifs à apaiser leur soif de dix ans que tous mes autres sens étaient anéantis et comme murés de toutes parts dans le dédain de toute chose, tant ce divin sourire les avait pris dans son ancien filet. Lorsqueces déesses me tournèrent de force le visage du côté gauche, parce que je les entendais murmurer: — C'est trop de contemplation !

Et ce trouble qui saisit le regard lorsque les yeux viennent d'être frappés par le soleil m'ôta quelque temps la vue. Mais lorsqu'ils se furent réhabitués à un faible éclat, je dis faible par rapport à l'éclat très-grand duquel j'avais été détourné par force, je vis que la glorieuse armée s'était dirigée à main droite et qu'elle s'avançait ayant le soleil et les sept flammes en face d'elle. De même qu'un bataillon se replie en se mettant à l'abri de ses bouclier et se tourne avec son enseigne avant qu'il ait pu changer de front, ainsi la milice du royaume céleste, qui marchait en avant défila tout entière avant que le char eût fait plier son timon.

Ensuite les femmes retournèrent aux roues et le griffon ébranla le char béni sans que ses ailes en fussent agitées. La belle femme qui m'avait fait passer le fleuve, Stace et moi, nous suivions la roue qui décrivit en tournant le plus petit cercle. En tra-versant ainsi la haute forêt vide par la faute de celle qui crut le serpent, nos pas s'accordaient avec les chants des anges. Nous étions peut-être avancés d'autant d'espace que le trait décoché en parcourt en trois volées, lorsque Béatrix descèndit.

Je les entendis tous qui murmuraient: —Adam! puis ils entourèrent un arbre dépouillé de fleurs et de feuillage en chacun de ses rameaux. Ses branches, qui s'élargissent de plus en plus à proportion qu'elles s'élèvent auraient été admirées même dans les bois de l'Inde à cause de leur hauteur.

            — Heureux sois-tu, ô griffon! puisque tu ne déchires pas avec ton bec cet arbre suave au goût mais duquel s'éloignèrent avec douleur les entrailles qui s'en nourrirent !

            Ainsi crièrent les autres autour de l'arbre robuste, et l'animal à double nature répondit: — Voilà comment se conserve la semence de toute justice.

Et s'étant tourné vers le timon qu'il avait tiré, il le traîna au pied de l'arbre veuf de son feuillage et laissa attaché à son tronc ce qui autrefois en faisait partie. De même que nos plantes, lorsque les rayons du grand astre tombent mêlés avec ceux qui s'échappent du Poisson céleste, bourgeonnent et puis renouvellent chacune leur couleur, avant que le soleil attelle ses coursiers sous une autre étoile; une couleur qui était moins que la rose et plus que la violette, couvrit l'arbre renouvelé, dont la ramure était dépouillée.

            Je n'ai jamais entendu nulle part et on ne chante pas sur la terre l'hymne que chanta alors cette troupe et je ne pus le supporter tout entier. Si je pouvais retracer comment ces yeux sans pitié s'endormirent en écoutant l'histoire de Syrinx, ces yeux auxquels une plus longue veille coûta si cher, comme un peintre qui peint d'après un modèle je montrerais comment je m'endormis. Mais qu'un autre décrive comment on s'endort.

            J'arrive donc au moment où je me réveilla, et je dis qu'une lumière déchira le voile de mon sommeil, J 'entendis ce cri: — Lève-toi: que fais-tu ?

            Tels qu'en voyant les fleurs de cet arbre qui rend les anges avides de son fruit et qui sert dans le ciel à un banquet éternel, Pierre, Jean et Jacques conduits sur la montagne, vaincus et renversés se relevèrent à la parole qui avait rompu des sommeils bien plus profonds et virent leur troupe diminuée de Moïse et d'Élie, et la robe de leur maitre changée.

            Tel je me réveillai et je vis cette femme compatissante qui avait guidé mes pas le long du fleuve et tout ému de crainte, je dis: — Où est Béatrix? Et elle: — Regarde-la sous le nouveau feuillage, assise au pied de l'arbre. Vois la compagnie qui l'environne. Les autres s'en vont au ciel après le griffon, avec des chants plus doux et plus sublimes encore.

Et si elle parla plus longtemps, je l'ignore car j'avais déjà dans les yeux celle qui m'empêchait d'entendre autre chose. Elle était seule, assise sur la véritable terre comme laissée là pour la garde du char que j'avais vu lier par la bête à deux formes. Les sept nymphes l'enfermaient dans on cercle, ayant dans les mains ces flambeaux qui ne craignent ni l'Aquilon ni l'Auster.

            — Tu seras peu de temps habitant de ce bois et tu seras éternellement avec moi citoyen de cette Rome dont le Christ est également citoyen. Aussi pour l'avantage du monde qui vit coupable, fixe tes yeux sur le char et quand tu seras retourné sur la terre, écris ce que tu auras vu.

Ainsi parla Béatrix et moi qui étais prosterné devant ses commandements, je portai mon attention et mes yeux là où elle m'avait dit.

            La foudre ne descend jamais plus rapidement à travers les nuages épais lorsqu'elle vient des régions les plus éloignées que je ne vis tomber l'oiseau de Jupiter à travers les branches, déchirant l'écorce et brisant les fleurs et les feuilles nouvelles.

            Et il frappa le char de toute sa force, et le char plia comme un navire en péril, battu sur les deux flancs par les ondes. Puis je vis s'élancer au-dedans du char triomphal un renard qui semblait avoir toujours été privé d'une bonne nourriture.

                        Mais en lui reprochant des fautes honteuses, la femme de mon cœur le fit fuir aussi rapidement que le lui permit son corps décharné.

                        Puis je vis l'aigle descendre dans l'arche du char, par le lieu d'où il était venu et la laisser remplie de ses plumes. Et une voix comme celle qui part d'un cœur gémissant sortit du ciel et dit: — Ô ma nacelle comme tu es mal chargée! Puis il me sembla que la terre s'ouvrait entre les roues et j'en vis sortir un dragon qui enfonça sa queue dans le char.

                        Et comme une guêpe qui retire l'aiguillon, en retirant à lui sa queue venimeuse il arracha une partie du fond et s'éloigna en serpentant. Ce qui resta comme la terre vivace se couvre de gazon, se couvrit des plumes apportées peut-être avec une pure et chaste intention. Et les roues elle timon s'en revêtirent en moins de temps qu'un soupir ne tient une bouche entr'ouverte.

Ainsi transformé, le char sacré fit paraître plusieurs têtes en ses diverses parties, trois au timon et une à chacun de ses coins.

            Les premières avaient des cornes comme les bœufs mais les autres quatre n'en avaient qu'une au milieu du front. On ne vit jamais un pareil monstre. Ferme comme une roche sur une montagne, je vis s'asseoir sur lui une prostituée sans pudeur et portant de tous côtés ses regards. Et je vis un géant debout auprès d'elle comme s'il avait craint qu'elle lui fût enlevée et ils se baisaient l'un l'autre de temps en temps. Mais parce qu'elle tourna vers moi son regard lascif et provoquant, son amant féroce la flagella de la tête aux pieds. Puis, plein de jalousie et aveuglé de colère, il détacha le char et le traîna par la forêt qui fit disparaître à ma vue la prostituée et le monstre nouveau.

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