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samedi 12 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 23-33

LE PURGATOIRE

CHANT XXIII.

Pendant que je fixais mes yeux à travers les branches verdoyantes comme le fait celui qui perd sa vie à suivre le petit oiseau, mon guide qui m'était plus qu'un père me disait: — Mon fils viens maintenant, le temps qu'on nous prescrit veut être employé plus utilement.

Je tournai le regard et le pas non moins vite vers les deux sages qui parlaient si bien qu'ils me rendaient la marche sans fatigue. Et voilà qu'on entendit pleurer et chanter: — Labia mea, Domine (1), d'une manière qui me fit plaisir et peine. — Ô mon doux père! qu'est-ce que j'entends? lui demandai-je. Et lui: — Des ombres qui vont peut-être déliant le nœud de leur devoir comme font des pèlerins pensifs qui joignant sur la route des gens inconnus se retournent vers eux et ne s'arrêtent pas.

Ainsi derrière nous, marchant rapidement, une troupe d'âmes silencieuses et dévotes venait et nous dépassait en nous regardant. Chacune d'elles avait les yeux obscurs et caves, leur face était pâle et tellement amaigrie que la peau prenait la forme des os. Je ne crois pas qu'Erésichthon fût réduit à une maigreur si extrême par la faim quand il en souffrit davantage (2).

Je me disais dans ma pensée: Voilà le peuple qui perdit Jérusalem lorsque Marie mordit (?) aux chairs de son fils. Leurs yeux semblaient des bagues sans pierres. Ceux qui lisent sur la face des hommes 0 MO (?) y auraient bien reconnu la lettre M.

Qui pourrait croire, avant d'en savoir la raison, que l'odeur d'un fruit et celle de l'eau les réduit à ce point en faisant naître leur désir? J'étais déjà à me demander qu'est-ce qui les affamait ne comprenant pas encore la cause de leur maigreur et de leur triste écaille. Et voilà que des profondeurs de son crâne une ombre tourna ses yeux vers moi et me regarda fixement puis elle me cria d'une voix forte: — Quelle grâce m'est accordée! Je ne l'aurais jamais reconnue à son visage mais je retrouvai dans sa voix ce que ses traits m'avaient dérobé. Cette lueur fit briller dans mon souvenir son image défigurée et je reconnus la face de Forèse (3).

            — Hélas! disait-il en priant, ne considère pas la lèpre qui décolore ma peau ni cet anéantissement de ma chair mais dis-moi la vérité sur toi et quelles sont ces deux âmes qui te servent d'escorte. Ne refuse pas de me parler.

            — Ton visage  qu'autrefois je pleurai mort ne me cause pas maintenant moins de chagrin ni de larmes, lui répondis-je, en le voyant si défiguré. Dis-moi donc, au nom de Dieu, qui est-ce qui vous maigrit tous ainsi. Ne me fais point parler pendant que je m'émerveille car celui-là parle mal qui est plein d'un autre souci.

            Et lui à moi: — Une vertu tombe de la justice éternelle dans l'eau et sur cet arbre que vous avez laissé en arrière qui me dessèche ainsi. Toutes ces âmes qui pleurent en chantant pour avoir satisfait leur gourmandise outre mesure se sanctifient ici dans la faim et dans la soif. Le désir de boire et de manger est excité en elles par l'odeur du fruit et par le grésillement de l'eau qui se répand sur la verdure. Et chaque fois que nous faisons le tour de cet espace, notre peine recommence. Je dis peine et je devrais dire joie car la volonté qui nous pousse vers cet arbre est celle qui poussa le Christ jusqu'à dire: — Eli! lorsqu'il nous délivra avec le sang de ses veines.

            Et moi à lui:— Forèse, depuis ce jour où tu as changé le monde contre une meilleure vie, cinq années ne se sont pas écoulées encore. Si tu n'avais déjà plus le pouvoir de pécher avant que n'arrivât l'heure de la douleur salutaire qui nous réunit à Dieu, comment es-tu monté ici? Je croyais te trouver encore là-bas, là où le temps se répare par le temps.

            Et lui à moi : — Les larmes abondantes de ma Nella m'ont conduit à boire sitôt la douce absinthe de ces douleurs. Elle est d'autant plus aimée et préférée de Dieu, ma pauvre veuve que j'ai tant chérie, qu'elle est plus seule à faire le bien car la Barbagia de Sardaigne a des femmes beaucoup plus pudiques que la Barbagia où je la laissai.

            — Ô mon doux frère! que veux-tu que je dise? Je vois déjà devant mes yeux un temps à venir pour lequel cette heure ne sera pas bien ancienne où il sera défendu en chaire aux femmes effrontées de Florence d'aller étalant leur gorge et leur poitrine. Quelles furent jamais les Barbares, quelles furent jamais les Sarrasines qu'on fut obligé de faire aller couvertes par des peines spirituelles ou autres? Mais si ces dévergondées étaient certaines de ce que le ciel se hâte de leur préparer, elles auraient déjà la bouche ouverte pour hurler. Et si ma prévoyance ne m'abuse pas, elles deviendront tristes avant que le poil vienne sur la joue de celui qui s'endort maintenant aux chansons de sa nourrice. Allons, frère, ne me cache plus ta condition car tu vois que non seulement moi mais encore toutes ces âmes regardent l'ombre que tu fais au soleil.

            Et je lui répondis : — Si tu rappelles à ton esprit ce que tu fus avec moi et ce que je fus avec toi, dans la vie du monde, le souvenir t'en sera douloureux même en ce moment. Je fus tiré hors de cette vie par celui qui va devant moi, l'autre jour, lorsque vous vîtes toute ronde la sœur de cet astre et je montrai le soleil. — Ce guide m'a conduit à travers la nuit profonde des véritables morts avec cette chair vivante qui le suit. Puis ses encouragements m'ont entraîné à monter et à parcourir la montagne qui vous redresse, vous que le monde fit tordus. Il me dit qu'il me fera compagnie jusqu'au lieu où je trouverai Béatrix et là, il faudra que je reste sans lui. Celui-ci est Virgile qui m'a parlé ainsi et je le montrai. — Et cet autre est l'ombre pour laquelle tout votre royaume a tremblé dans ses escarpements, en l'éloignant de lui.

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