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samedi 12 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 22-33

LE PURGATOIRE

CHANT XXII.

Déjà l'ange était resté derrière nous, l'ange qui nous avait dirigés vers le sixième cercle après avoir effacé une lettre sur mon front et les esprits qui ont leurs désirs tournés vers la justice avaient chanté: — Beati et sitiunt (t), et s'étaient arrêtés sans poursuivre davantage. Et moi, plus léger qu'aux autres portes, je marchais si bien que sans aucune fatigue je suivais en montant ces esprits rapides.

Lorsque Virgile dit: — L'amour allumé par la vertu en allume toujours un autre pourvu que sa flamme paraisse au dehors. Depuis l'heure où est descendu parmi nous aux limbes de l'enfer Juvénal qui me fit connaître ton affection, ma bienveillance pour toi devint telle qu'il n'en fut jamais de plus grande pour quelqu'un qu'on n'a pas vu. Aussi cet escalier me semblera-t-il court avec toi.

Mais dis-moi et pardonne-moi comme à un ami, si trop de franchise me lâche la bride et cause avec moi désormais amicalement. Comment l'avarice put-elle trouver une place dans ton sein parmi tant de science dont tu fus rempli par ton travail?

            A ces paroles, Stace se mit d'abord à sourire un peu, puis il répondit : — Tout ce que tu dis m'est un signe bien cher de ton amour. En vérité, bien souvent on voit des choses qui sont des sujets mal fondés de doute parce que les vraies raisons en sont cachées. Ta demande me fait croire que tu penses que je fus avare dans l'autre vie, peut-être à cause du cercle où j'étais.

            Or, sache que l'avarice fut trop éloignée de moi et des milliers de lunes ont puni cet excès. Et si je n'avais éveillé mon attention, quand je lus ce passage où tu t'écries, comme indigné contre la nature humaine: « A quoi ne conduis-tu pas les appétits des mortels, maudite faim de l'or! » j'aurais soutenu en tournant dans l'enfer les luttes éternelles. Je compris alors que les mains pouvaient s'ouvrir trop à dépenser et je me repentis de la dissipation comme des autres fautes. Combien ressusciteront avec les cheveux ras à cause de l'ignorance qui leur ôte le repentir de ce péché pendant leur vie ou à la dernière heure! Et sache que la faute qui correspond par une opposition directe à chaque péché est flétrie avec lui dans le même châtiment. Si donc je suis resté parmi les âmes qui pleurent l'avarice, pour me purifier, c'était pour expier une faute contraire.

            — Cependant, lorsque tu as chanté les armes cruelles du double fléau de Jocaste, dit le poète des vers bucoliques, d'après les notes que Clio touche avec toi, il ne parait pas que la foi, sans laquelle aucun mérite ne suffit, l'eût mis encore parmi les fidèles. S'il en est ainsi, quelle lumière, quel flambeau t'ont si bien éclairé que tu aies dirigé depuis ta voile à la suite du Pécheur?

            Il répondit: — Toi le premier, tu m'as mis sur le chemin du Parnasse pour boire dans ses grottes et toi le premier tu m'as éclairé auprès de Dieu. Tu as fait comme celui qui va la nuit portant derrière lui une lumière dont il ne se sert pas mais dont s'éclairent ceux qui le suivent, lorsque tu as dit: « Le siècle se renouvelle, la justice revient avec le premier âge humain et un nouveau rejeton descend du ciel. ». Par toi je fus poète, par toi chrétien mais pour que tu voies mieux ce que je te dessine, je vais appliquer ma main à le colorier.

                        Déjà le monde entier était plein de la vraie croyance semée par les messagers de l'éternel royaume et tes paroles que je viens de rappeler s'accordaient avec celles des nouveaux prédicateurs et je m'habituai à les visiter. Ils vinrent ensuite à me paraître si saints que, lorsque Domitien les persécuta, leurs larmes ne coulèrent pas sans les miennes. Et tant que je restai sur la terre, je les secourus et leurs mœurs austères me firent mépriser toutes les autres sectes.

                        Et avant que je ne conduisisse les Grecs au fleuve de Thèbes dans mes chants, je reçus le baptême mais par crainte je fus un chrétien caché affichant longtemps encore le paganisme. Cette tiédeur me fit parcourir le quatrième cercle pendant plus de quatre centaines d'années.

                        Toi donc par lequel a été levé le couvercle qui me cachait ce grand bien dont je parle, pendant que nous avons encore beaucoup à monter, dis-moi si tu le sais où sont notre antique Térence, Cécilius, Plaute et Varron. Dis-moi s'ils sont condamnés et dans quelle région.

                        Ceux-là, et Perse, et moi et d'autres encore, répondit mon guide, nous sommes avec ce Grec que les muses allaitèrent de préférence à tout autre dans la première enceinte de la prison ténébreuse; souvent nous parlons de la montagne que nos nourrices habitent toujours. Euripide y est avec nous, et Anacréon, Simonide, Agathon et plusieurs autres Grecs qui ornèrent autrefois leur front de lauriers. On y voit de tes héros, Antigone, Déiphile et Argia, et Ismène aussi triste que jamais. On y voit celle qui indiqua Langia et la fille de Tirésias et Thétis et Déidamie avec ses sœurs.

Déjà les poètes se taisaient tous les deux, de nouveau attentifs à regarder autour d'eux, ayant franchi les escaliers et les parois. Et déjà les quatre servantes du jour étaient restées en arrière et la cinquième était au timon, dirigeant en haut sa pointe ardente.

Et mon guide: — Je crois qu'il nous faut tourner la droite au bord extérieur pour parcourir la montagne comme nous en avons l'habitude. Ainsi cette fois l'habitude nous servit de guide et nous prîmes le chemin avec plus d'assurance par l'approbation de cette âme juste.

Ils marchaient devant et moi seul après eux et j'écoutais leurs discours qui me donnaient l'intelligence de la poésie. Mais bientôt leurs doux entretiens furent interrompus par un arbre que nous trouvâmes au milieu du chemin avec des fruits bons et suaves à l'odorat. Et comme dans le sapin les branches s'amoindrissent en s'élevant, ainsi le faisaient-elles dans cet arbre en descendant. Je crois que c'était pour que personne n'y montât.

Du côté par où notre chemin était fermé, une eau claire tombait du haut de la roche et se répandait sur ses feuilles. Les deux poètes s'approchèrent de cet arbre et une voix leur cria entre le feuillage: — Vous ne goûterez pas à ce fruit. Puis elle dit: — Marie pensait plutôt à ce que les noces fussent honorables et complètes qu'à sa bouche par laquelle elle vous répond aujourd'hui. Les anciennes Romaines se contentaient d'eau pour boisson et Daniel dédaigna le manger et acquit le savoir. Le premier siècle fut beau comme l'or, il rendit les glands savoureux par la faim et changea les ruisseaux en nectar par la soif. Du miel et des sauterelles furent les mets qui nourrirent Baptiste dans le désert, c'est pourquoi il est glorieux et aussi grand que vous le montre l'Évangile.

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