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jeudi 10 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 05-33

LE PURGATOIRE.

CHANT V.

Je m'étais déjà séparé de ces ombres et je suivais les traces de mon guide lorsque derrière moi et levant le doigt, l'une d'elles s'écria :— Vois, il ne parait pas que le rayon du soleil luise à gauche de celu! qui suit le premier et il semble marcher comme un vivant. Je tournai les yeux au bruit de ces paroles, et je les vis regarder avec étonnement, moi, toujours moi,et la lumière que mon corps interceptait.

— Pourquoi ton esprit s'embarrasse-t-il? dit le maître. Que t'importe ce qu'on murmure par là? Suis-moi et laisse dire les autres. Reste comme une tour inébranlable qui ne ploie jamais sa cime à cause du souffle des vents. Car toujours l'homme dans lequel une pensée germe sur une autre pensée éloigne le but devant lui parce que l'effort de la première affaiblit l'cffort de la seconde. Que pouvais-je dire, sinon : — Je viens.  Aussi le dis-je, un peu couvert de cette rougeur qui rend quelquefois l'homme digne de pardon.

Cependant à travers la côte venaient des âmes un peu devant nous en chantant le Miserere, verset par verset.

            Lorsqu'elles s'aperçurent que mon corps ne laissait point passer la lumière, elles changèrent leur chant en un cri long et rauque. Et deux d'entre elles, comme des messagers vinrent à notre rencontre et nous dirent : — Apprenez-nous qui vous êtes.

            Et mon maître: —Vous pouvez vous en retourner et rapporter à ceux qui vous envoient que le corps de celui-ci est de la chair véritable. Si c'est pour voir l'ombre qu'il fait qu'elles se sont arrêtées, ainsi que je le pense, on a assez répondu à leur curiosité. Qu'elles lui fassent honneur et cela peut leur devenir précieux.

Je ne vis jamais des vapeurs enflammées fendre l'air à l'entrée de la nuit, ni le soleil traverser en descendant les nuages au mois d'août en moins de temps que ces deux âmes n'en mirent à remonter en haut et arrivées là elles revinrent à nous avec les autres comme des cavaliers coutant (?) à toute bride.

            — Cette foule qui arrive sur nous est nombreuse et vient pour te prier, dit le poète. Va donc toujours et en marchant écoute-les.

            — Ô âme, qui vas pour être heureuse, enveloppée du même corps dans lequel tu es née, disaient-elles en venant, arrête un peu tes pas et regarde si tu n'as jamais vu quelqu'un de nous afin que tu en puisses porter là-bas des nouvelles. Hélas! pourquoi vas-tu donc? hélas! pourquoi ne t'arrêtes-tu pas? Nous sommes tous morts violemment et pécheurs jusqu'à la dernière heure. Alors un rayon du ciel nous a frappés et en nous repentant et en pardonnant, nous quittâmes la vie en paix avec Dieu qui nous tourmente maintenant du désir de sa présence.

            Et moi : — Quoique je regarde vos visages, je n'en reconnais aucun mais s'il vous plaît quelque chose que je puisse pour vous, esprits nés pour le bonheur, dites-le et je le ferai au nom de cette paix qui, sur les pas de mon guide, se fait chercher par moi de monde en monde.

            Et l'un d'eux répondit : — Chacun se fie à ta promesse, sans que tu jures pourvu que l'impuissance ne détruise pas ton vouloir. Et moi qui parle avant tous les autres, je t'en prie, si tu vois jamais ce pays situé entre la Romagne et celui de Charles, sois-moi secourable par tes prières à Fano afin qu'on y implore Dieu pour moi et que je puisse être purifié de mes fautes graves. C'est là que je naquis mais les profondes blessures d'où s'écoula le sang sur lequel reposait ma vie me furent faites dans le pays d'Anténor. Là où je me croyais le plus en sûreté, le seigneur d'Est me fit frapper, lui qui m'avait en haine beaucoup plus que ne le voulait la justice. Mais si je m'étais enfui vers la Mira, lorsque je fus atteint à Oriaco, je serais encore là où l'on respire. Je courus au marais et les roseaux et la vase m'enchevêtrèrent tant que je tombai et j'y laissai sur la terre un lac de mon sang (1).

            Une autre dit ensuite : — Puisse s'accomplir le vœu qui t'entraîne au haut de la montagne si ta bienveillance favorise le mien! Je fus de Montefeltro, je suis lluonconte ; Jeanne et les autres n'ont point souci de moi. Voilà pourquoi je vais parmi ces âmes le front penché (2). Et moi à lui: — Quelle force ou quel hasard te poussa si loin de Campaldino qu'on ne connut jamais ta sépulture ?

                        — Oh! répondit-il, au pied du Casentino, traverse un fleuve qui a nom l'Archiano et qui naît sur l'Ermo, dans l'Apennin. Là, où son nom se perd, j'arrivais la gorge traversée, fuyant à pied et ensanglantant la plaine. Là, je perdis la vue et ma parole expira avec le nom de Marie. Et je tombai et il ne resta plus qu'un cadavre. Je vais te dire la vérité et répète-la parmi les vivants. L'ange de Dieu me prit et celui de l'enfer criait : « Ô toi, ange du ciel, pourquoi me le prends-tu? Tu emportes son âme immortelle pour une petite larme qui me la ravit mais je vais traiter son corps bien autrement. »

                        Tu sais bien comment se condense dans les airs cette vapeur humide qui retombe en eau aussitôt qu'elle monte aux régions où le froid la saisit. C'est là que l'ange de l'enfer, joignant l'intelligence à cette mauvaise volonté qui désire toujours le mal, remua la fumée et le vent à l'aide du pouvoir attaché à sa nature. Et ensuite, lorsque le jour fut tombé, il couvrit la vallée de brouillard de Pratomagno à la grande chaîne des monts. Et il voila tellement le ciel, que l'air condensé se résolut en eau. La pluie tomba et les fossés reçurent tout ce que la terre ne put pas absorber et comme elle se réunissait en grands ruisseaux, elle se précipita vers le fleuve royal avec une rapidité si grande que rien ne l'arrêta. L'Archiano furieux trouva mon corps glacé à l'embouchure de l'Arno, le poussa dans ce fleuve et défit sur ma poitrine la croix que j'y avais formée de mes bras, quand la douleur me vainquit. Il me roula par les bords et par le fond puis me couvrit et m'entoura de ce qu'il avait entraîne.

            — Hélas! quand tu seras retourné dans le monde et reposé de la longue route, continua un troisième esprit après le second, souviens-toi de moi qui suis la Fia (3). Sienne me vit naître et la Maremme me vit mourir. Celui-là le sait bien qui d'abord, en m'épousant avait mis à mon doigt la pierre de son anneau.

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