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jeudi 10 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 04-33

LE PURGATOIRE.

CHANT IV:

Lorsque le plaisir ou la douleur affecte quelqu'une de nos facultés sur laquelle l'âme se replie tout entière, elle paraît n'être plus attentive à ce qu'éprouvent les autres ; et cela détruit l'erreur de ceux qui pensent qu'une âme s'allume en nous sur une autre âme. C'est pourquoi, lorsqu'on entend ou lorsqu'on voit quelque chose qui tient l'âme fortement absorbée, le temps passe et l'homme ne s'en aperçoit pas. Car autre est la faculté qui écoute et autre est celle qui reste inoccupée : l'une est presque liée et l'autre est libre. Je fis de cela une exacte expérience en écoutant et en admirant cet esprit car le soleil était bien monté de cinquante degrés sans que je m'en fusse aperçu lorsque nous arrivâmes à un endroit où ces âmes nous crièrent toutes : — Voici ce que vous demandez.

            Plus grande est souvent l'ouverture que le villageois hérisse d'une fourchée d'épines, quand le raisin se colore, que n'était le sentier par lequel nous montâmes seuls* mon guide et moi aussitôt que cette troupe d'âmes se sépara de nous. On va à Sanleo, on descend à Noli, on monte au sommet de Iîismantua (1) à l'aide de ses pieds mais ici il faut que l'homme vole. Je dis qu'il me fallait voler avec l'aile légère et rapide d'un grand désir pour suivre ce guide qui m'encourageait et qui m'éclairait.

            Nous montions par ce passage creusé dans le rocher dont les parois nous pressaient de tous côtés et il fallait pieds et mains sur le sol que nous foulions. Quand nous sortîmes par le bord supérieur du haut escarpement à la plage découverte : — Mon maître, dis-je, quel chemin ferons-nous? Il me répondit : — Qu'aucun de tes pas ne descende, gravis toujours la montagne après moi jusqu'à ce qu'il nous apparaisse une escorte habile.

            Le sommet était si haut que la vue ne pouvait l'atteindre et la pente était beaucoup plus roide que la ligne tirée du centre au milieu de l'arc du cadran. J'étais déjà fatigué, et je m'écriai : — Ô mon doux père! retourne-toi et regarde comme je vais rester seul si tu ne t'arrêtes pas.— Mon fils, me dit-il, traîne-toi jusque-là et il me montra une plate-forme qui entourait toute la montagne de ce côté. Je fus à tel point aiguillonné par ses paroles que je m'efforçai de le suivre en rampant, jusqu'à ce que la plate-forme se trouva sous mes pieds. Nous nous assîmes là tous les deux, tournés vers le levant, d'où nous étions venus car on aime à regarder le chemin qu'on a fait.

            Je dirigeai d'abord mes yeux vers le rivage inférieur, puis je les levai vers le soleil et je fus surpris de voir que ses rayons nous frappaient du côté gauche. Le poète s'aperçut bien que je demeurais stupéfait en voyant que le char du soleil passait entre nous et l'Aquilon et il me dit : — Si Castor et Pollux accompagnaient ce miroir qui répand son éclat dans les deux hémisphères, tu verrais le Zodiaque flamboyant tourner encore pins (?) près des Ourses s'il ne sortait pas de sa route ordinaire.

                        Si tu veux comprendre comment cela se fait ainsi, recueille-toi et imagine-toi que Sion et cette montagne sont placées de telle manière sur la terre qu'elles ont un même horizon et des hémisphères différents et tu verras, si ton esprit est bien attentif, comment il est nécessaire que la route que Phaéton, pour son malheur, ne sut point parcourir, dans un hémisphère passe d'un côté tandis que dans l'hémisphère opposé elle passe d'un autre.

                        — Certainement, mon maitre, répondis-je, jamais au moment où mon esprit me semblait être en défaut, je n'ai si bien compris qu'à cette heure. Car le demi-cercle du mouvement supérieur que l'on appelle équateur dans un certain art, et qui reste toujours entre le soleil et l'hiver, doit, par la raison que tu dis, se trouver, dans cet hémisphère, vers le septentrion, tandis que les Hébreux le voyaient vers les chaudes régions du midi.

                        — Mais, s'il te plaît, je voudrais bien savoir encore combien de temps nous avons à marcher car la montagne s'élève si haut que mes yeux ne peuvent pas en atteindre la cime. Et lui : —Telle est cette montagne que le commencement en est surtout plus difficile à monter mais plus on la gravit, moins elle fatigue. Lors donc qu'elle te paraîtra si douce que tu la graviras aussi facilement que si tu descendais un courant sur un navire. Alors tu seras arrivé au terme de cette route et là seulement tu te reposeras de ta fatigue. Je n'ajoute plus rien et je tiens pour vrai ce que je te dis.

                        Et comme il achevait ces paroles, une voix s'écria tout près de nous : — Peut-être seras-tu forcé de t'asseoir auparavant.

A ce bruit, l'un et l'autre nous nous retournâmes et nous vîmes à gauche une grande pierre que ni lui ni moi n'avions pas d'abord aperçue. Nous nous approchâmes et nous vîmes des âmes qui étaient assises à l'ombre du rocher comme un homme s'assied par nonchalance. L'une d'elles, qui me semblait accablée de lassitude était assise et embrassait ses genoux appuyant sur eux son visage incliné.

             Ô mon doux seigneur! dis-je, regarde celui-ci, qui se montre plus nonchalant que si la paresse était sa sœur. Alors il se tourna vers nous et nous regarda, en faisant glisser son visage le long de sa cuisse; puis il me dit: — Monte donc, toi qui es si vaillant.

            Je connus alors qui il était et la fatigue qui précipitait encore un peu ma respiration ne m'empêcha pas d'aller à lui. Et lorsque je m'en fus approché, il leva à peine la tête, en disant : — As-tu bien compris comment le soleil mène son char du côté gauche? Ses mouvements indotents et ses paroles brèves firent éclore le sourire sur mes lèvres et je lui dis : — Belacqua (2), je ne suis plus en peine de toi désormais mais dis-moi pourquoi tu es assis à cette place. Attends-tu quelque guide ou bien t'es-tu laissé reprendre à ton ancienne habitude ?

            Et lui : — Ô frère! à quoi servirait de monter, puisque je ne pourrais pas arriver au lieu de l'expiation à cause de l'ange de Dieu qui en garde la porte. Il faut que j'attende, avant de la franchir, autant de temps que je l'ai fait dans ma vie car j'ai retardé jusqu'à la fin mon repentir. À moins que des prières ne viennent à mon aide, parties d'un cœur qui vit dans la grâce. Que vaudraient les autres qui ne sont pas entendues dans le ciel?

Et déjà le poète montait devant moi, et disait : — Suis-moi. Vois comme le soleil touche le méridien et tout au bord de l'horizon la nuit pose déjà son pied sur Maroc.

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