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lundi 14 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 28-33

LE PURGATOIRE

CHANT XXVIII.

Désireux déjà de chercher de toutes parts la divine forêt épaisse et vigoureuse qui tempère aux yeux l'éclat du jour nouveau, sans plus attendre, je laissai le bord et je pris par la campagne lentement, lentement, sur le sol qui embaumait de tous côtés. Un air doux et toujours le même m'effleurait le front sans plus me frapper qu'un vent léger.

            A son souffle les branches agitées s'inclinaient toutes du côté où la montagne sainte jette sa première ombre mais elles ne s'écartaient pas assez pour que sur leurs cimes les oiseaux fussent troublés dans leurs ébats. Pleins de joie, ils accueillaient la première heure en chantant dans le feuillage qui accompagnait leur mélodie avec un bruit semblable à celui qu'on entend de branche en branche à travers les pins dont se couvre le rivage de Chiassi lorsque Éole lâche au dehors le sirocco.

Mes pas ralentis m'avaient déjà transporté si loin dans l'antique forêt que je ne pouvais reconnaître l'endroit où j'étais entré. Et voilà que je fus arrêté par un ruisseau qui allant vers la gauche, pliait avec ses petites ondes l'herbe née sur ses bords. Toutes les eaux les plus pures sur la terre paraîtraient avoir en elles quelque mélange auprès de celle-ci qui ne voile rien quoiqu'elle coule sombre, sombre, sous l'ombrage perpétuel qui ne laisse rayonner jusqu'à elle ni le soleil ni la lune.

            J'arrêtai mes pas et je franchis le ruisseau avec mes yeux pour admirer au-delà la grande variété d'arbres verdoyants. Et comme il apparaît tout à coup des choses qui détournent toute autre pensée par l'étonnement qu'elles produisent, il m'apparut là une femme toute seule qui allait chantant et choisissant des fleurs parmi celles dont toute sa route était émaillée.

            — Ô belle dame qui vous échauffez aux rayons de l'amour, si je dois en croire les traits, témoignage habituel du cœur, daignez vous approcher, lui dis-je, vers cette rivière afin que je puisse entendre ce que vous chantez. Vous me faites souvenir du lieu où était Proserpine et de ce qu'elle était au temps où sa mère la perdit et où elle-même perdit le printemps.

                        Comme se tourne avec les plantes des pieds rapprochées et posées à terre, une femme qui danse, et met à peine un pied devant l'autre, ainsi elle se tourna vers moi sur les petites fleurs dorées et vermeilles, semblable à une vierge qui baisse pudiquement les yeux. Et elle exauça mes prières en venant si près du bord que son chant arrivait jusqu'à moi avec tous ses détails.

                        Aussitôt qu'elle fut là où les herbes étaient baignées par les eaux du fleuve, elle me fit la grâce de lever ses yeux. Je ne crois pas que tant d'éclat ait brillé sous la paupière de Vénus blessée par son fils, contre son habitude. Elle souriait, debout sur l'autre rive, cueillant avec ses mains les fleurs innombrables que la terre y produit sans graine. Le fleuve nous séparait de Lro  (?) pas. Mais l'Hellespont où passa Xerxès et qui sert encore de frein à toutes les ambitions humaines ne fut pas plus odieux à Léandre nageant entre Sestos et Abydos, que ce ruisseau qui ne s'ouvrait pas devant moi.

                        — Vous êtes étrangers, dit-elle, et peut-être mon sourire en ce lieu choisi pour séjour à la nature humaine vous tient-il en étonnement et en soupçon. Mais le delectasti du psaume jette une lumière qui peut éclairer votre entendement (i). Et toi qui es en avant et qui m'as priée, dis si tu veux entendre autre chose car je suis venue prête à répondre pleinement à toutes tes questions.

                        — L'eau, répondis-je, et le bruit de la forêt combattent dans mon esprit une croyance nouvelle en des choses que j'ai entendues et qui sont contraires à ce que je vois. Et elle: — Je te dirai comment procède de sa cause ce qui fait que lu t'émerveilles et je dissiperai le nuage par lequel tu es aveuglé.

                                    Le souverain bien qui se plaît en lui seul fit l'homme propre au bien et lui donna ce lieu pour arrhes de l'éternelle paix. Par sa faute il demeura ici peu temps. Par sa faute il changea le rire honnête et la douce joie en larmes et en chagrins.

                                    Afin que les changements opérés ci-dessous par les exhalaisons de l'eau et de la terre qui suivent autant qu'elles le peuvent la chaleur ne livrassent aucune guerre à l'homme, cette montagne s'éleva ainsi vers le ciel, et elle est libre depuis le lieu où elle est close.

                                    Or, comme l'air tourne circulairement par l'impulsion du premier moteur, si le cercle n'est brisé d'aucun côté, cette hauteur qui s'élève libre dans l'air pur est frappée de ce mouvement et fait retentir la forêt parce qu'elle est épaisse. Et l'arbre ébranlé a le pouvoir d'imprégner l'air de sa vertu et l'air, en tournoyant, la sème de tous côtés.

                                    Et cette terre, selon qu'elle y est préparée ou par elle-même ou par son ciel, conçoit et produit divers arbres par ses diverses vertus. Il ne faudra pas t'étonner, après avoir entendu ceci, que des plantes viennent dans votre monde sans aucune semence visible. Et tu dois savoir que la campagne sainte où tu es, est pleine de tous les germes et a des fruits qui ne se cueillent pas ailleurs.

                                    L'eau que tu vois ne provient point d'une source qu'alimente la vapeur condensée par le froid comme un fleuve qui reçoit et qui perd sa force. Mais elle sort d'une fontaine intarissable et permanente qui ne prend que dans la volonté de Dieu, l'eau qu'elle verse par ses deux courants.

                                    De ce côté, elle coule avec le pouvoir d'ôter le souvenir des péchés et de l'autre avec le pouvoir de rendre la mémoire des bienfaits. D'un côté elle s'appelle Léthé, de l'autre Eunoé et elle n'opère qu'après qu'on l'a goûtée dans ses deux branches. Sa saveur surpasse toutes les autres.

                                    Et quoique ta soif puisse être assez apaisée pour que je ne t'en dise pas davantage, j'ajouterai encore en ta faveur quelque chose à mes paroles et je ne crois pas qu'elles te soient moins chères parce qu'elles dépassent ce que je t'avais promis.

                                    Les poètes qui ont chanté autrefois l'âge d'or et son état heureux ont peut-être rêvé de ce lieu sur le Parnasse. C'est ici qu'étaient dans leur innocence les premiers hommes, c'est ici qu'ils avaient un printemps éternel et toutes sortes de fruits et cette eau est ce que chacun appelle le nectar.

Je me retournai alors tout entier vers mes poètes et je vis qu'ils avaient écouté avec un sourire ce dernier raisonnement. Puis je reportai mes yeux sur la belle femme.

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