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dimanche 13 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Purgatoire - 26-33

LE PURGATOIRE

CHANT XXVI.

Pendant que nous marchions ainsi le long du bord, l'un devant l'autre, mon bon maître me disait souvent: — Prends garde, profite de mes conseils.

Le soleil frappait mon épaule droite, et déjà ses rayons blanchissaient tout l'azur de l'occident. Mon ombre faisait paraître la flamme plus rouge,et à un fait si étrange, je vis des âmes s'étonner en marchant. Ce fut là pour elles une occasion de parler de moi, et elles commencèrent à dire: — Celui-ci ne parait pas avoir un corps factice.

Puis, se tournant vers moi autant qu'elles le pouvaient, -elles s'en assurèrent, ayant toujours soin de ne pas sortir où elles n'auraient pas été brûlées. — 0 toi, qui vas derrière les autres, non point parce que tu es plus lent mais peut-être par déférence, réponds-moi à moi qui brûle dans la soif et dans le feu. Et ce n'est pas à moi seulement que ta réponse est nécessaire car toutes ces âmes en sont plus altérées que l'Indien ou que l'Éthiopien de l'eau fraîche. Dis-nous comment il se fait que tu te places ainsi qu'un mur devant le soleil, comme si tu n'étais pas encore entré dans le filet de la mort.

Ainsi me parlait l'une d'elles et je me serais déjà expliqué si je n'avais été attentif à quelque chose de nouveau qui m'apparut encore. Car à travers la route embrasée d'autres âmes venaient en face de celles-ci, ce qui me fit rester à les regarder. Là je vis des deux côtés chacune d'elles s'avancer empressée, et s'embrasser l'une l'autre sans s'arrêter, contentes de cette courte fête.

Ainsi, au milieu de leur noire traînée, les fourmis se flairent l'une l'autre, peut-être pour s'enquérir de leur route ou de leurs aventures. Aussitôt que les âmes se séparent après leur acueil amical, avant que les unes et les autres aient fait les premiers pas, elles s'efforcent toutes de crier à l'envi les nouvelles arrivées: — Sodome et Gomorrhe ! et les premières: — Pasiphaé se cacha dans une vache afin que sa luxure attirât le taureau.

Ensuite, comme des grues qui eussent volé les unes vers le mont Riphée, les autres vers le désert, celles-là fuyant la glace, celles-ci fuyant le soleil, la première troupe s'en va, l'autre s'en vient et elles reprennent, en pleurant leurs premiers chants et les cris qui leur conviennent davantage.

Et les mêmes qui d'abord m'avaient prié se rapprochèrent de moi comme auparavant ayant peint sur leur visage le désir d'écouter. Moi qui avais compris deux fois leur envie, je dis: — 0 âmes assurées d'avoir un jour la paix! mon corps n'est resté là-bas ni jeune ni vieux mais je le porte ici, avec son sang et avec ses membres. Je monte par ce chemin pour ne plus être aveugle. Une femme est là-haut qui nous obtient cette grâce et je traîne ma chair mortelle à travers votre monde. Mais, — et puisse s'accomplir bientôt votre plus ardent désir d'être reçues dans ce ciel qui est plein d'amour et qui parcourt une circonférence plus vaste que les autres. — Dites-moi, afin que j'en remplisse encore des pages, qui vous êtes et quelle est cette foule qui marche à votre suite.

            Comme demeure ébahi le montagnard et devient muet en regardant, lorsque grossier et sauvage, il tombe dans les villes. Ainsi chaque âme parut en son aspect mais lorsqu'elles furent revenues de cet étonnement qui s'apaise bien vite dans les grands cœurs: — Heureux, dit celle qui nous avait d'abord interrogés.

                        Heureux, Ô toi qui puises en notre séjour l'expérience d'une meilleure vie! Les âmes qui ne marchent pas avec nous ont commis ce péché pour lequel César, comme il triomphait, s'entendit appeler reine à sa honte.

                        C'est pour cela qu'elles s'en vont en criant: — Sodome! s'accusant elles-mêmes comme tu l'as entendu. Et elles augmentent leur supplice en rougissant. Notre péché fut double comme l'hermaphrodite mais parce que nous offensâmes la nature en suivant nos appétits comme les animaux, pour uotre ignominie nous répétons, en nous éloignant le nom de celle qui se fit bête dans la bête de bois.

            Or, tu sais nos actions et en quoi nous avons péché. Si par hasard tu veux nous connaître par les noms, je n'ai pas le temps de te les dire et je ne le saurais. Je te dirai pourtant le mien: — je suis Guido Guinicelli (1) et déjà je me purifie parce que je me suis repenti avant ma dernière heure.

Ce que sentirent par la cruauté de Lycurgue les deux fils en revoyant leur mère, je l'éprouvai mais sans m'élancer comme eux, lorsque j'entendis se nommer lui-même mon père et le père de tous ceux qui valent mieux que moi dans les douces et élégantes rimes d'amour. Et sans plus rien entendre ni rien dire, je m'en allai longtemps pensif, en le regardant. Mais, à cause du feu, je ne m'approchai pas davantage.

Lorsque je fus rassasié de le regarder, je m'offris tout dévoué à son service, avec ces protestations qui persuadent. Et lui: — Ce que tu me dis laisse en moi de telles traces et de si chères que le Léthé ne saurait ni les effacer ni les affaiblir. Mais si tu m'as juré la vérité, dis-moi pour quelle raison tu montres que tu m'aimes par tes paroles et par ton regard.

Et moi à lui: — Vos doux écrits tant que durera le style moderne feront toujours chérir les caractères qui les retracent.

—  Ô frère! dit-il, celui que je te montre avec le doigt, et il me montra une âme devant nous, fut un meilleur maître dans sa langue maternelle. Vers d'amour et prose de romans, il surpassa tout et laisse dire les sots qui croient que le Limousin passe avant lui. Ils se fientplutôt au bruit qu'à la vérité et ils forment leur opinion avant de consulter l'art ou la raison.

—  Ainsi firent beaucoup d'anciens pour Guittone, lui faisant une renommée de bouche en bouche À à la fin la vérité a triomphé dans l'opinion du plus grand nombre. Or, si tu as un si grand privilège, qu'il te soit donné d'aller en ce cloître où le Christ est l'abbé du collège, dis-lui pour moi un Pater jusqu'à l'endroit où il faut s'arrêter pour nous qui sommes de ce monde où nous ne pouvons plus pécher.

Ensuite, peut-être pour donner sa place à celui qui venait après lui, il disparut à travers le feu, comme disparaît à travers l'eau le poisson qui s'enfonce. Je m'approchai un peu de celui que l'ombre m'avait montré et je dis que mon désir préparait un gracieux accueil à son nom.

            Et il se mit à me répondre aussitôt: — Tant me plaît votre courtoise demande que je ne peux ni ne veux me cacher de vous. Je suis Arnaut qui pleure et vais chantant. Je vois tout chagrin la folié passée et je vois heureux la joie que j'espère demain. Maintenant je vous prie, par cette vertu qui vous guide et au sommet de l'escalier, souvenez-vous à temps de ma douleur (2). Puis il disparut dans le feu qui les purifie.

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